Qu'est devenu le gisement des emplois familiaux ?
LE MONDE ECONOMIE | 12.05.03 | 16h47
Les mesures de politique familiale annoncées le 29 avril par le gouvernement visent à inciter les parents à recourir aux services d'assistantes maternelles. Cette profession, après des debuts prometteurs dans les années 1990, cherche un second souffle, faute d'une rémunération et d'une valorisation suffisantes.
D'un côté, une demande insatisfaite : bien des familles peinent à faire garder leurs enfants en semaine lorsqu'ils ne sont pas encore scolarisés, les mercredis et les fins d'après-midi lorsqu'ils le deviennent.
De l'autre, une offre insuffisante : pas assez de places de crèche, pas assez d'assistantes maternelles. N'est-ce pas là le type même du "gisement d'emplois" inexploité parce que la demande n'est pas solvable et l'offre pas assez bien organisée ? Selon un rapport du Commissariat du Plan (Avenir des métiers, La Documentation française, décembre 2002), la garde des tout-petits pourrait générer 100 000 emplois dans les années qui viennent. Une aubaine, lorsque le chômage monte.
Le gouvernement a justement annoncé, le 29 avril, une refonte de sa politique familiale, dont certains aspects concernent la garde des enfants : les aides financières seront réaménagées de façon à rendre équivalent à celui d'une place en crèche le coût d'une assistante maternelle, aujourd'hui plus élevé pour les ménages à revenu modeste. D'autre part, les entreprises bénéficieront d'une ristourne fiscale baptisée "crédit d'impôt famille", équivalente à 60 % du coût des initiatives qu'elles pourraient prendre en faveur de leurs salariés - crèches d'entreprise ou interentreprises, aides aux parents. Voilà pour le financement de la demande.
Du côté de l'offre, la profession d'assistante maternelle devrait voir son attractivité renforcée par une amélioration de sa couverture sociale, la validation de l'expérience professionnelle par un diplôme national et une revalorisation de sa rémunération, toujours l'objet d'âpres négociations.
Françoise Bauche, porte-parole du Syndicat professionnel des assistants et assistantes maternels (Snpaam), reconnaît l'importance des deux premiers points, mais, dit-elle, "les mesures en faveur de la demande ne font que redéployer les financements existants, sans en ajouter de nouveaux". Surtout, "tant que notre rémunération demeurera inférieure au smic, il ne sera pas possible d'attirer plus de monde dans ce métier et d'augmenter l'offre de services". Selon la direction de la recherche du ministère des affaires sociales (Etudes et résultats n° 235, avril 2003), les 342000 assistantes maternelles en activité en 2002 effectuaient en moyenne 46 heures de travail par semaine, et gagnaient en moyenne 542 euros net par mois, ou encore 635 euros pour celles qui travaillaient à temps plein, soit les deux tiers d'entre elles.
Pour pouvoir exercer, une assistante maternelle doit recevoir un agrément du conseil général, instruit par les services de la protection maternelle et infantile (PMI) du département, qui détermine également le nombre d'enfants, limité à trois, pouvant être accueillis. "Les assistantes maternelles sont ainsi amenées à refuser les gardes épisodiques (par exemple les soirées ou les mercredis) pour réserver leurs places aux contrats à plein temps, qui assurent un meilleur revenu", observe Françoise Bauche. Une circulaire de Ségolène Royal, ministre de la famille du gouvernement Jospin, avait précisé qu'il s'agissait de trois enfants "en même temps" - ce qui permettait aux assistantes d'en accueillir un plus grand nombre au total, et d'augmenter leur revenu. "Mais nombre de PMI refusent d'appliquer ce texte, proteste Françoise Bauche, et interdisent même aux assistantes maternelles débutantes de prendre plus d'un enfant la première année, ce qui ne figure pourtant dans aucun texte." Résultat : le nombre moyen d'enfants gardés plafonne à 2,6.
A vrai dire, même si la demande explosait, il n'est pas sûr que la profession créerait des emplois en grand nombre. La moitié des assistantes à temps partiel souhaiteraient travailler plus, et un quart des assistantes agréées ne travaillent pas du tout faute d'un revenu suffisant ou pour d'autres raisons : leur taux d'activité varie de 100 % (en région parisienne et dans le Midi) à 39 % (dans les départements du Nord et du Centre). Il existe donc un important potentiel inexploité. Par ailleurs, un âge moyen de 44 ans, un faible niveau d'études (50 % ont au plus le brevet des collèges), une faible qualification (9 % ont un CAP ou un BEP spécialisé) caractérisent, selon la Drees, "une profession associée à une reprise d'activité de la part de mères de famille nombreuses" après une carrière interrompue par la perte d'un emploi ou après le départ des enfants du foyer familial. Pour que cette profession soit renouvelée, il faudrait refondre radicalement non seulement ses modes de rémunération et de qualification, mais encore l'attitude de l'administration et des parents - enclins à penser qu'un tel service doit être presque gratuit - à son égard.
Antoine Reverchon
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